PORTIC
Comment étudier les échanges économiques du 18ème siècle au prisme de données historiques incertaines ?
Reconstituer le paysage économique de la France au tournant de la Révolution de 1789 à partir de données incertaines. PORTIC implique un collectif interdisciplinaire d’historien.ne.s, d'informaticien.ne.s et designers dans trois enquêtes fondées sur deux bases de données d’histoire économique existantes, donnant l’occasion d’expérimenter de nouveaux formats de collaboration et de publication.
Présentation du projet
Le programme ANR PORTIC (2019-2023) entend étudier les dynamiques spatiales et économiques à l’œuvre dans le processus de construction de marchés de plus en plus intégrés qui prépare et accompagne la Révolution industrielle. A cette fin, il croise les données sur la navigation des ports français et celles issues de la balance du commerce afin de mieux saisir l’articulation entre espaces régionaux, nationaux et internationaux du commerce français du XVIIIe siècle, en s’appuyant sur deux corpus existants –Navigocorpus et Toflit18 – produits au cours de deux programmes ANR achevés. Le croisement des deux corpus permet, entre autres, d’estimer plus précisément la part respective du commerce national et étranger, d’affiner les connaissances sur les ports qui articulent les marchés et leurs interactions, d’analyser les phénomènes régionaux de spécialisation entre plusieurs ports, de mesurer l’impact des conflits sur l’économie d’un port, de prendre la mesure de la contrebande à travers la Manche, de peser la part prise par les Français dans les services de transport international qui échappe aux statistiques commerciales de l’époque, ou encore de calculer la ratio entre la valeur du commerce et le tonnage ou les effectifs de main-d’œuvre affectés au transport maritime en fonction des flux. Si les historiens et économistes utiliseront ces données pour faire avancer les connaissances sur l’apport du commerce international et de la navigation à la croissance française du XVIIIe siècle, PORTIC ambitionne de permettre à tous et chacun l’exploration des données, à partir de ce site, qui propose une approche progressive et guidée aux données, tenant compte de leur caractère « imparfait ».
En effet, PORTIC, un projet co-construit par des historiens, des économistes, des géomaticiens, des informaticiens, et des spécialistes de la communication de l’information par le Web, développe des outils permettant une visualisation claire, scientifiquement irréprochable et calibrée pour des publics différents, d’informations historiques, en prenant pleinement en compte leur caractère dit « imparfait ». L’imperfection des données historiques dérive de lacunes documentaires, d’informations contradictoires délivrées par des sources différentes, ou de leur contenu imprécis. Ce caractère incertain d’une partie des informations, fondamental du point de vue de la compréhension du passé, est actuellement insuffisamment intégré par les outils de visualisation des données, notamment des flux. Il s’agit ainsi de fournir un accès correct à ces savoirs et de sensibiliser le public au degré de certitude de l’information.
Les humanités numériques accompagnent toutes les étapes du projet. Tout d’abord, elles permettent la mise en évidence des caractères aberrants et contradictoires des données par des outils de fouille et par la mise en place de procédures interactives semi-automatisées par lesquelles les chercheurs qualifient la valeur des informations. Cet aspect, préalable au projet, ne sera pas visible sur ce site. Ensuite, nous sommes en train de créer une interface de visualisation des données qui prenne convenablement en compte la nature lacunaire ou incertaine ou imprécise de celles-ci, faute de quoi, la consultation des données risque d’aboutir à des conclusions erronées. Enfin, des parcours pédagogiques et des filtres à la carte permettront à des publics différents d’accéder à la consultation des données en fonction de leurs besoins. Une section dédiée permet enfin, par une approche ludique, de familiariser le plus jeune public avec des réalités historiques spécifique, telle la course en Méditerranée.
Tout ce qui est développé par PORTIC est évidemment partagé sous licence libre.
La contribution du médialab : animation de trois études de cas
Dans le cadre du programme PORTIC, le Work Package n°5 consistait à effectuer une série d’études de cas tirant parti des deux corpus existants de sources historiques numérisées Navigocorpus et Toflit18 pour valoriser le travail déjà accompli via l’étude approfondie de sous-ensembles signifiants dans les données.
Ces études éclairent des questions disciplinaires existantes sous un nouveau jour grâce aux nouveaux matériaux et méthodes offerts par les bases de données mobilisées par le programme. Les questions soulevées par une telle initiative sont multiples :
- Comment mobiliser ensemble deux sources dont certaines dimensions sont incommensurables ou difficiles à mettre en équivalence ? Comment croiser les données numérisées des deux bases avec des connaissances plus denses et qualitatives sur les phénomènes étudiés, apportées par des historiens spécialistes de la région étudiée ?
- Comment prendre en compte, au moment de l’enquête et du raisonnement, l’importante stratification de transformations, de réductions et de décisions interprétatives constituant la chaîne d’opérations documentaires qui relie les sources initiales avec les données qui en ont été tirées ?
- Comment prendre en compte l’incertitude ou l’incomplétude des données tout en proposant une analyse scientifiquement solide des phénomènes étudiés ?
- Comment faire dialoguer les formes classiques de l’écriture historique – le récit déployé phrase après phrase, l’argument déroulé paragraphe par paragraphe – avec les formes d’écriture diagrammatique et computationnelle qu’implique la composition d’un site web ?
- Comment gérer la collaboration interdisciplinaire et la partition d’expertises qu’implique une telle écriture multimodale ?
Toutes ces questions ont été travaillées lors du processus de collaboration qui a mené à l’élaboration de trois publications expérimentales en ligne proposant des études de cas ciblées permettant d’éclairer sous un nouveau jour des questions relevant de l’histoire de l’économie et de la navigation. Chacune de ces trois publications a été le fruit d’un travail de plusieurs mois voire années, mêlant des phases de travail intensif (datasprints) et des phases de travail au long cours.
Coordonnées par Robin de Mourat, les 3 études de cas ont été l’occasion des deux stages de 6 mois en ingénierie de recherche de Cécile Asselin et de Guillaume Brioudes. Elles ont également impliqué un grand nombre de personnes qui ont participé à un ou plusieurs des ateliers et séquences de travail associées aux études de cas de PORTIC : Silvia Marzagalli, Christine Plumejeaud, Loïc Charles, Guillaume Daudin, Paul Girard, Maxime Zoffoli, Alain Bouju, Géraldine Geoffroy, Pauline Gourlet, Béatrice Mazoyer, Benjamin Ooghe-Tabanou, Guillaume Plique, Pierrick Pourchasse, Thierry Sauzeau, Héloïse Théro, Kelly Christensen, Hélène Herman, Christian Pfister-Langanay, Pierre-Niccolo Sofia.
Commerce multi-échelles autour du port de La Rochelle au XVIIIe siècle, 2021
Cette étude de cas s’intéresse à la navigation et au commerce maritime des côtes poitevines et charentaises à la veille de la Révolution. Cela correspond à la direction des fermes de la Rochelle et à la façade maritime des provinces du Poitou, de l’Aunis, de la Saintonge et de l’Angoumois (région « PASA »).
Elle décrit en trois temps l’histoire de la région PASA à l’aube de la Révolution française. D’abord, nous constatons la relative perte d’importance et de diversité commerciale de la région à la suite de la perte du Canada par le royaume de France durant la guerre de Sept Ans.
Nous proposons ensuite une analyse détaillée de la restructuration de la région en relation avec cet événement, selon des filières spécialisées qui associent des ports particuliers avec le commerce de produits spécifiques. Nous démontrons enfin que, bien que dominant dans sa région, le port de la Rochelle ne structure pas en 1789 la région au profit d’un réseau d’échange plus diversifié.
Iframe https://www.youtube.com/embed/uxGqQkQ5DlU?si=zVV4WMEuEQJNyi-j
Commerce, contrebande et ports francs : le cas de Dunkerque au XVIIIe siècle, 2024
Fondée au XIIe siècle, Dunkerque a une longue tradition maritime dont cette étude de cas éclaire les enjeux à la fin du dix-huitième siècle, à partir des sources navigocorpus et toflit18. Dans un premier temps, nous décrivons les aspects institutionnels et fiscaux du fonctionnement du port de Dunkerque à cette époque et présenter un panorama global de ses activités maritimes.
Dans un second temps, nous analysons plus spécifiquement l’importante contrebande qui s’y effectuait avec l’Angleterre, à la fois ennemie jurée du royaume de France pendant ce qu’on a appelé « la seconde guerre de cent ans », et partenaire économique proche et dynamique.
Dans un dernier temps, nous nous interrogeons sur la nature du fonctionnement de l’entrepôt de Dunkerque. Jouait-il vraiment un rôle d’intermédiaire entre les différents marchés européens comme ses marchands l’affirmaient ? Ou, comme le prétendaient la Ferme et ses concurrents, servait-il simplement de point d’entrée en fraude des marchandises en France ?
Iframe https://www.youtube.com/embed/_sDyAtwQLVE?si=CO4cmdmG7SHWoAnK
Prospérité et résilience du port de Marseille au XVIIIe siècle, 2024
Alors que la France du XVIIIe siècle se caractérise par la présence de plusieurs ports très actifs, deux seulement réussissent leur reconversion et prospèrent au XIXe siècle : Marseille et le complexe Rouen-Le Havre. Si la résilience de l’estuaire de la Seine s’explique d’abord par l’importance et le dynamisme du bassin économique et démographique parisien, dans le cas de Marseille les causes sont plus complexes.
Cette étude de cas vise à élucider les raisons de la résilience de Marseille en explorant plusieurs hypothèses d’explication à partir des sources toflit18 et navigocorpus.
Iframe https://www.youtube.com/embed/u7DX_83jr8E?si=kHC3G_U3omcSUNgK
Le documentaire : un making of scientifique pour comprendre ce qui se joue dans la recherche interdisciplinaire en pratique
PORTIC est un projet emblématique des humanités numériques et de l’histoire quantitative contemporaine. Après des années passées dans l’ombre des archives et dans l’enfer des bases de données, des arguments commencent à être produits, des outils d’exploration développés, des visualisations réalisées.
Cependant, le recours à la production de graphiques et à la fabrication de statistiques a tendance à donner une impression d’immédiateté et d’évidence alors qu’ils résultent d’un processus complexe et de choix qui peuvent être discutés.
Cette tendance pose un double défi : d’une part, elle demande de davantage situer les nombres et images afin de permettre de mieux les comprendre et de se les approprier ; d’autre part, elle occulte la richesse de la collaboration interdisciplinaire, ainsi que les pratiques et situations multiples – et parfois insolites – par lesquelles se font les découvertes dans ces contextes.
Plutôt que de produire un discours et des images bien lissées, nous avons donc conclu la série des trois études de cas PORTIC par un document ouvrant la porte de la « cuisine » de la recherche en humanités numériques. Nous avons donc proposé une restitution des études de cas du programme du point de vue de leur méthodologie et de leur déroulement pratique, sous la forme d’un « making of scientifique » audio-visuel de la dernière étude de cas de PORTIC. Il s’est agi de donner à voir comment peut se conduire une recherche interdisciplinaire en humanités numériques, depuis les premières réunions de préparation jusqu’à la longue traîne de la finition d’une publication, en passant par les moments décisifs de collaboration face à face.
Iframe https://www.canal-u.tv/chaines/mshs-sud-est/embed/153874?t=0