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PRISES , MÉ.PRISES, EM.PRISES , DÉ.PRISES , RE.PRISES… Les formes de participation au développement de l'IA en France

Pauline Gourlet

Fin 2020. Le cycle médiatique s'emballe sur l’intelligence artificielle, ses promesses et ses problèmes, usant et abusant d’une rhétorique sensationaliste. Des innovations médicales révolutionnaires aux prophéties de la fin de l’humanité, des engagements éthiques des GAFAM aux mauvais calculs de Parcousup, il est difficile de savoir quoi penser de ce phénomène, si ce n’est qu’il semble sur le point d’investir de manière indifférenciée tous les champs de la vie en tout point du globe. Difficile donc de naviguer sur cette mer de discours. Dans le cas de l’intelligence artificielle, comme cela arrive de plus en plus à mesure que les systèmes se complexifient et se globalisent, une difficulté majeure tient à la résistance du phénomène à se laisser saisir. On ne sait littéralement pas par où l’attraper : les tentatives paraissent soit insignifiantes, soit totalisantes, soit trop techniques, soit trop sociales, trop résignées ou trop enthousiastes, trop ci, pas assez ça... Il faut donc s’y résoudre, il n’y a pas d’entendement commun au sujet de l’IA, mais une cacophonie dont les sons qui nous parviennent laissent insatisfaits, sinon frustrés. Le seul entendement commun qui tienne est peut-être l’aveu que “quelque chose cloche” et qu’il serait bon de s’en soucier. De consultations en chartes éthiques, cet aveu persiste et signe. La sociologie des controverses nous a outillés pour décrire les problèmes liés aux innovations technologiques, étudier leur formation et leur circulation, cartographier les acteurs concernés, leurs intérêts et leurs attachements, leurs stratégies d’alliances et d’action. Elle nous a habitués aux objets à la définition fuyante et conflictuelle et aux problèmes mal formulés. Mais le volume du bruit dans le cas de l'intelligence artificielle couplé à une sorte de conflictualité larvée nous force à revisiter cet héritage. Comment saisir les problèmes de l’IA, distinguer ceux qui méritent qu’on s’en soucie parmi le bruit ? De quelle forme d’attention ou de sensibilité faut-il s’équiper? En faisant le pari de la participation, nous avons cherché à nous réapproprier la problématisation de l'IA à travers une enquête collective qui part des pratiques concrètes. Et c’est d'abord à un équipement de l’attention que nous avons travaillé. Nous avons élaboré des dispositifs d'enquête pour décrire et éprouver les pratiques de l'IA, du point de vue des praticiens. A partir de ces descriptions coisées, nous avons cherché à en discuter les effets tant sur les situations qu'ils vivent que sur le développement de l'IA en France. De tels dispositifs d’attention agissent en retour sur la trajectoire de son développement d'au moins deux manières. D’une part, héritiers d’une sociologie pragmatique, nous attribuons aux descriptions le potentiel de former des problèmes publics pertinents du point de vue des personnes impliquées dans l’enquête (chercheurs compris). D’autre part, la focale qu’ils placent sur les pratiques et leurs milieux permet l’identification et la mise à l’épreuve de prises élaborées par les acteurs pour faire évoluer leur situation — ou au contraire, ils peuvent mettre en lumière la perte progressive de leurs capacités d’action. Cette notion de prise, au cœur de notre travail, correspond aux opérations concrètes entreprisent par des personnes au sein de leurs activités situées pour transformer celles-ci, pour les faire évoluer. Ces prises sont élaborées dans des systèmes d'activité très divers et interfèrent, parfois tirant dans le même sens, d’autres fois en conflit, tentant d’empêcher certains devenirs. Elles concourent ainsi, de manière distribuée et en résonance, à donner forme à l’IA. À la fois guides et ressources pour l’action, les prises (et leur absence) sont constitutives du devenir des phénomènes socio-techniques. Cette recherche s'apparente à une sorte d'observatoire des prises sur l'IA : elle donne ainsi à voir différentes formes de participation au développement de l'IA et aux problématisations qui en résultent. Avec cet élargissement de la notion de participation, nous espérons contribuer à redistribuer la capacité d’agir sur le développement des technologies d’intelligence artificielle. Ce site restitue les matériaux de l’enquête, dans une version synthétique pour le lecteur curieux, mais également dans une version intégrale pour celles et ceux qui voudraient en explorer les subtilités. Septembre 2023. Une nouvelle séquence médiatique, plus virulente encore que la précédente, vient de s’achever. Au cœur de celle-ci, l’évènement ChatGPT qui pose l’IA générative comme nouvelle réalité. Cette recherche, qui s’est déroulée entre 2021 et 2023, aura donc connu deux cycles médiatiques avec entre les deux, le creux d’une vague. Néanmoins, les matériaux et les analyses restitués ici ne portent pas sur cette deuxième séquence et laissent de côté cette nouvelle figure de l’IA. Si les données du problème ont sensiblement évolué, cela n'invalide pas notre entrée par les prises et les pratiques. Au contraire ! Nous pensons que le partage de ces analyses et des matériaux qui les ont nourries posent des repères solides, précieux pour s’orienter lors de la prochaine déferlante.