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Styles de Modération

Comment la parole problématique en ligne suscite-t-elle des pratiques de réception qui échappent aux calculs des systèmes de modération ? Comment peut-on décrire ces pratiques afin de dessiner des horizons de vies collectives au-delà de la “plateformisation” de la société ?

Ce projet s’intéresse à des pratiques utilisataires “modératrices” dans le sens où elles visent à porter attention, produire du sens, et apporter des réponses, à l’inconfort, aux troubles et dommages, causés par la parole problématique en ligne. Ce faisant, elles remettent également en question les contours de la “modération” telle qu’ils sont dessinés au sein des plateformes. Le projet comporte un volet descriptif qui tient d’une sociologie, voire d’une ethnographie des pratiques, mais également un volet spéculatif qui fait appel aux capacités du design d’imaginer des transformations possibles.

Research

Styles de Modération est un projet de recherche en media studies et design qui s’intéresse à la participation des utilisateurs de réseaux sociaux à la modération de contenus, aux côtés des plateformes qui contrôlent le contenu qu’elles publient, et des instances de gouvernance de la liberté d’expression.

Elaborer des méthodes de modération collective

Dans un premier temps, le projet a tenté de saisir cette participation en explorant des situations de modération collective avec des utilisateurs afin de rendre sensible le travail matériel-sémiotique de réception des contenus. Cette première phase a conduit à la publication du fanzine Comment faire avec la parole problématique en ligne qui donne corps aux pratiques élaborées par les utilisateurs pour faire sens des désaccords concernant l’acceptabilité ou non de certaines paroles en ligne, en mobilisant les éléments matériels, sociaux, sémiotiques et affectifs des mondes dans lesquels ils sont ancrés. Le fanzine redirige l’attention vers les usages que les utilisateurs font de la modération, plutôt qu’à la modération des usages, grâce à la notion de style de modération. Les styles (Macé, 2016) permettent de décrire les manières qu’ont les utilisateurs de s’affranchir de la configuration par défaut proposée par les réseaux sociaux (Style 1 | Faire exister les règles) pour mettre en avant d’autres arrangements possibles : la coexistence de cultures différentes (Style 2 | Pratiquer la diplomatie), la poursuite de la lutte politique (Style 3 | Saisir les leviers), la fabrication d’un espace d’accueil (Style 4 | Aménager le réel), la recomposition des problèmes (Style 5 | Transformer la situation).

Reproblématiser la modération

Dans un deuxième temps, le projet utilise le fanzine comme une provocation (Hansson et al., 2018; Marres et al., 2018) pour aller interroger les pratiques de calcul, au sens large, de la parole problématique, venues du droit, de l’informatique, du design, de la communication ou de la politique: si elles dominent la problématisation de la modération, et donc les solutions qui sont apportées en termes d'interface entre utilisateurs individuels et plateformes, les pratiques de calcul tendent à faire l’économie de ce travail de réception et d’en négliger le rôle.

Le projet vise à explorer de manière nuancée l’expérience d’habiter les internets, prise entre la promesse d’inclusivité et de diversité des voix pouvant s’exprimer en ligne, d’une part, et les conditions sociomatérielles de l’acceptabilité de la parole, de l’autre. En effet, celles-ci apparaissent de plus en plus dépendantes d’intérêts commerciaux et de calculs techniques qui les soustraient à l’invention de formes de vie plus démocratiques.

Exploiter les résultats d'ateliers participatifs

Le projet Styles de Modération fait suite à l’étude pilote Can Speech govern itself ? au cours de laquelle 29 ateliers collectifs ont été organisés en 2022 et 2023 avec des groupes de 3 ou 4 personnes d’âges, genres, opinions politiques, attaches géographiques et sociales, et niveaux de littératie numérique divers. Les participants y avaient été invités à “modérer” le même jeu de 30 cas réels de disputes autour de messages problématiques postés sur le réseau social X.

Les résultats montrent que ce travail de modération ne fait pas seulement état des connaissances et des capacités de jugement des utilisateurs, indexées sur les catégories du droit ou des directives des plateformes. Ils font apparaître différentes fonctions remplies par la modération lorsque les utilisateurs n’en sont pas seulement l’objet – c’est-à-dire s’ils sont “modérés” quand ils s’expriment de manière problématique– mais aussi sur laquelle ils peuvent agir – c’est-à-dire qu’ils peuvent faire quelque chose avec la parole problématique.

Le projet Styles de Modération est financé par Project Liberty.