Valentine Crosset, Dominique Cardon
“Supprime”, “Signalé”, les utilisateurs des réseaux sociaux opposent fréquemment des demandes de suppression aux énoncés qu’ils jugent indésirables sur les réseaux sociaux. Dans des formes et pour des motifs extrêmement divers, ils contribuent à définir ainsi l’espace du dicible en signalant les propos haineux et offensants qu’ils souhaitent invisibiliser (Crawford et Gillespie, 2016 ; Myers West, 2018). Cette présentation propose une exploration de la pratique de signalement des propos offensants sur Twitter en cherchant à examiner la variété des formes prises par les expressions normatives des utilisateurs. Elle vise à la fois à prendre la mesure du développement de cette nouvelle pratique en définissant le périmètre des propos considérés comme offensants par les utilisateurs et à évaluer les conflits normatifs entre les utilisateurs à propos des frontières de l’offense. Cela pose nécessairement la question de savoir quels sont les cadres en jeu quand un utilisateur reconnaît un contenu comme offensant ? Quel ordre politique implicite produit et régule le champ du dicible et de l’indicible ? Cela s’appuie sur l’idée que nos réponses morales - qui appartiennent d’abord au domaine des affects – sont implicitement régulées par certains cadres d’interprétation (Butler, 2010). Nous faisons donc l’hypothèse que les individus classent de manière différentielle et située les contenus offensants pouvant appartenir à l’espace du dicible ou non. Ces classements demeurent par ailleurs flous, laissant une marge de manœuvre et d’improvisation aux individus. Pour réaliser cette enquête nous avons constitué un corpus à partir d’une forme dyadique simple constitué par un tweet et l’expression, sous la forme d’une réponse, d’une demande suppression ou d’un signalement à partir des mots-clés “supprime” et “signale”. L’enquête est composée d’une analyse des signalements effectués par les internautes, ainsi que des entrevues menées avec des supprimeurs et des utilisateurs. Cette présentation dépassera ainsi une analyse centrée uniquement sur les dispositions juridiques en proposant un système de traduction des enjeux juridiques, éthiques et moraux des discours offensants pour les explorer à travers le prisme des formes de normativités exprimées par les publics (Honneth, 2015).