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Médiologie des réputations

Dominique Boullier, Audrey Lohard

Introduction : Pourrait-on faire une sociologie de l’opinion sans les enquêtes d’opinion et les sondages ? Pourrait-on faire une sociologie de la réception des médias sans les mesures d’audience ? Pourrait-on faire une sociologie des réputations sans les dispositifs d’opinion mining, de sentiment analysis (analyse de tonalité), ou de e-reputation qui émergent à foison depuis quelques années ? Nous considérons qu’il est possible de ne pas toujours suivre ce formatage par les dispositifs opérationnels, pour penser l’opinion, l’audience ou la réputation et nos travaux précédents l’ont amplement montré sur tous ces sujets, dans la lignée de Tarde (Boullier, 2004). Cependant, la puissance performative des dispositifs de sondages, des mesures d’audience et de e-reputation est telle qu’il est impossible de les ignorer ou de se contenter de les critiquer sommairement, comme ce fut souvent le cas pour les sondages ou les mesures d’audience. Nous nous proposons ici de nous appuyer sur un travail d’inventaire extensif de tous les outils d’opinion mining et de sentiment analysis, les plus souvent exploités pour la e-reputation, travail réalisé en 2011-2012 et qui a donné lieu à une publication avec Audrey Lohard (Boullier et Lohard, 2012). Cet inventaire permet de décomposer très précisément les différentes étapes techniques des choix méthodologiques effectués par les quelques 280 services commerciaux et académiques relevés. Une telle analyse à grain fin est indispensable pour éviter les anathèmes trop rapidement émis dans les critiques sur les mesures d’audience. Ce qui nous importe ici, c’est bien de comprendre le pouvoir d’agency, de « faire faire » incorporé dans chacune de ces techniques, pour mesurer précisément le déplacement de la question qu’elles effectuent. Chemin faisant, nous serons conduits à discuter les relations entre influence, réputation, opinion et audience car, dans les méthodes comme dans les concepts, une certaine confusion peut apparaitre. Pour résumer, nous dirons que le seul processus dont les sciences sociales devraient rendre compte, comme l’avait préconisé Tarde, c’est l’influence. La forme contemporaine de la mesure de l’influence se désigne désormais comme réputation mais elle doit son émergence au développement de l’économie financière et c’est pourquoi nous devons examiner d’abord ce moteur de production des réputations, comme résultat et comme catégorie, mesure mesurée et mesure mesurante (Latour).