De l'art de faire de la science
Bruno Latour
Publications – Article/chapitre
Pouvons nous aborder la question des relations entre art et science sans tomber aussitôt dans une certaine routine de la pensée ? Cette question restera décourageante tant que nous colporterons l'idée que nous avons affaire ici à deux domaines dont l'un, en gros, serait celui de l'objectivité froide, obsédée par les faits, et, l'autre celui de l'imaginaire, de la création libre offrant de briser les apparences, d'élargir la vision et de s'affranchir ainsi du diktat factuel. Entre ces deux domaines, certains s'escriment à défendre qu'il y a un lien : celui de l'invention, de l'innovation, de la surprise, de la découverte même. Mais c'est à peu près tout, comme si seule la pirouette analogique permettait de franchir ce qui séparerait par définition art et science : un abîme . Qu'ils soient nourris de méfiance ou de curiosité, de mépris ou de fascination, les regards croisés du savant et de l'artiste demeurent distants comme si leurs positions respectives s'avéraient d'une étrangeté radicale.