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Enseigner l’interdisciplinarité, premières mises en commun

Le 17 juin 2024, le médialab et le Collège universitaire ont organisé une journée d’échanges consacrée aux nouveaux cours interdisciplinaires qui sont proposés depuis quatre ans aux étudiantes et aux étudiants du Bachelor of Arts and Sciences de Sciences Po.

Chronique

Il y a quatre ans, Sciences Po, l’Université Paris Cité et l’Université de Reims Champagne Ardenne ont ouvert une formation de premier cycle universitaire, qui combine d’une part les sciences sociales et les sciences, et qui propose d’autre part une approche interdisciplinaire de quelques-uns des défis qui se situent au confluent des disciplines concernées. Cette formation a été développée dans le cadre du programme METIS, qui lie les différents établissements partenaires. 

Quatre cursus, construits selon les mêmes principes, sont aujourd’hui ouverts : 

  • sciences de la vie et sciences sociales, Environnement et sociétés durables, sur le campus de Reims, avec l’Université de Reims Champagne Ardenne ;
  • géosciences et sciences sociales, Politiques de la Terre, avec l’Institut de Physique du Globe de Paris, Université de Paris Cité ;
  • mathématiques et sciences sociales, Algorithmes et décisions, avec l’Université Paris Cité ;
  • sciences de la vie/biologie et sciences sociales, Politiques du vivant et identités, avec l’Université Paris Cité.

Chaque cursus accueille une vingtaine d’étudiantes et d'étudiants par an, et la première promotion sera diplômée en 2024.

Penser autrement les enjeux complexes auxquels nous sommes confrontés

La partie interdisciplinaire de la formation en constitue la principale originalité : il ne s’agit plus seulement de juxtaposer des disciplines de sciences sociales et de sciences qui ont été progressivement séparées, mais de croiser les regards disciplinaires pour tenter de penser autrement les enjeux complexes auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés. Afin de donner corps à cette approche interdisciplinaire, une quinzaine de nouveaux cours ont été conçus au cours des dernières années. Ils ont la particularité d’avoir été élaborés et d’être dispensés par des enseignantes-chercheuses et enseignants-chercheurs des différents établissements partenaires impliqués. Ils peuvent croiser sociologie et mathématiques, droit et biologie ou encore géosciences et anthropologie… Ainsi, les étudiantes et étudiants de cette formation peuvent suivre de nouveaux cours dont les titres laissent deviner le caractère hybride du contenu : humanités scientifiques, qu’est-ce qu’un nombre ?, l’invention de la nature, aléas, risques et sociétés, éthique animale…

Guillaume Lachenal, historien des sciences au médialab, et impliqué sur deux cours interdisciplinaires (l’un à Reims sur “Les plantes : histoire et politique”, avec Eric Courot, l’autre à Paris sur les interactions hôtes-pathogènes, avec Anne Couëdel Courteille), donne une illustration de l’orientation particulière de ces nouveaux enseignements :

Dans mon expérience, que l’on parle de plantes ou de pathogènes, d’agriculture ou de santé publique, ce co-enseignement fonctionne bien quand il part d’une attention croisée au concret, à des détails matériels, à  des points d’incertitude dans les savoirs, des moments de crise. C’est dans cette direction que nous guidons les étudiantes et les étudiants pour leurs travaux, en les amenant à chercher des points d’articulation d’enjeux biologiques et politiques ou économiques, dans l’attention à la matérialité : le porte-greffe d’un pied de vigne résistant au phylloxera, telle protéine virale utilisée comme antigène dans les tests diagnostiques rapides. Peu d’attention est généralement consacrée à cette matérialité, mais la considérer mène très vite à des acteurs économiques, politiques et à tout un ensemble de savoirs et de techniques scientifiques.

Des expériences variées d’enseignement en partage

Le but principal de la journée du 17 juin était de rassembler pour la  première fois les équipes enseignantes de chacun de ces cours, afin que  tous puissent non seulement faire connaître leurs manières d’enseigner  l’interdisciplinarité, mais également mettre en commun et partager leurs  expériences.

Les  directrices des campus de Sciences Po concernés, Reims et Paris, ont  également pris part aux échanges, tout comme des membres de l'équipe du  Collège Universitaire. 

Le programme de  la journée était organisé en trois temps : le premier portrait sur la  préparation des enseignements, le deuxième sur l’expérience des cours et  la rencontre avec leurs publics et le troisième concernait les  évolutions et les futurs développements.

Discussion collective des enseignants impliqués dans les cours du programme METIS, lors de la journée organisée le 17 juin 2024 à Sciences Po
Discussion collective des enseignants impliqués dans les cours du programme METIS, lors de la journée organisée le 17 juin 2024 à Sciences Po

Le médialab est depuis le départ très impliqué dans cette expérience de formation interdisciplinaire : outre Nicolas Benvegnu qui porte le programme METIS, plusieurs membres ou anciens membres du laboratoire sont impliqués dans ces enseignements : Guillaume Lachenal, Thomas Tari, Jean-Philippe Cointet, Emilien Schultz ou encore Pauline Gourlet et Robin de Mourat. Cette façon de penser et d’enseigner puise de surcroît dans toute l'œuvre de Bruno Latour.

Parmi la vingtaine d’enseignantes-chercheuses et enseignants-chercheurs qui ont participé à cette journée, plusieurs ont témoigné des points positifs qu’ils en retirent : 

  • Sandrine Revet, (anthropologue au CERI de Sciences Po) qui propose le cours “Aléas, risques et sociétés” avec Frédéric Fluteau et Guillaume Le Hir (Institut de Physique du Globe de Paris), ainsi que Maëlle Calandra (Institut de Recherche pour le développement) :
La richesse des cours préparés, leur diversité tant dans les thématiques que dans les formats ou les méthodes ont permis d'apporter des idées pour avancer encore dans la façon de produire des enseignements interdisciplinaires. Au-delà de la juxtaposition des perspectives disciplinaires, certains sont parvenus à véritablement "tisser" des cours à deux voix. L'importance des échanges et des préparations entre les enseignants - ce qui reste souvent invisible - a pu être mis en lumière et partagé.
  • Benjamin Cancès (géochimiste à l’Université de Reims Champagne Ardenne)  impliqué sur le cours “L’invention de la nature” avec Thomas Tari :
La journée a été extrêmement profitable car elle a permis de rendre compte de la diversité des approches pédagogiques et donc de partager les réussites et les difficultés rencontrées dans la pratique de l'interdisciplinarité. Les différents échanges ont ainsi nourri notre réflexion quant à l'évolution de notre enseignement qui est donné depuis quatre ans. Avec Thomas Tari, nous envisageons, entre autres, de modifier nos modalités d'évaluation en nous inspirant de celles déjà éprouvées avec succès par d'autres collègues. J'espère que ce type de rencontre, où les retours d'expérience sont au cœur des discussions, sera amené à être renouvelé.

Ces pratiques d'enseignement interdisciplinaires ne sont pas déconnectées de projets de recherche en cours ou à venir, comme l’explique Guillaume Lachenal à l’aune de sa propre expérience : 

Ces cours poussent l’interdisciplinarité très loin - à un niveau rarement atteint - et dans mon cas je suis très heureux que mon investissement dans le programme METIS ait été récemment soutenu par l’Institut Universitaire de France !

Partager les pratiques pour enrichir ses enseignements

Les participantes et participants ont tout autant pu s’inspirer des pratiques des autres que bénéficier de leurs retours critiques et bienveillants. Plusieurs ont insisté sur l’atmosphère constructive et positive de la journée. C’est par exemple le cas de Frédérique Deshayes, biologiste à l’Université Paris Cité : 

Cela a été un moment très convivial qui a favorisé des échanges qui n'auraient jamais eu lieu par Zoom. Cela a permis des retours et des avis en toute transparence, ce qui, je pense, a renforcé les liens entre les membres de l'équipe METIS. Je pense également que cela va donner un surcroît de dynamisme et de motivation à certains d'entre nous !

De nouveaux cours interdisciplinaires sont actuellement en cours de préparation, ce qui signifie que la communauté fondée grâce à cette journée d’échanges pourra bientôt s’enrichir de nouveaux collègues et de nouvelles pratiques.