Les mouvements féministes en ligne
Comment les mouvements féministes se sont-ils emparés des technologies numériques pour construire, organiser et donner de la visibilité à leurs causes ? La séance spéciale du séminaire Transitions numériques (TransNUM) du 15 avril propose de répondre à cette question en la replaçant au sein de l’histoire des féminismes et de leurs rapports aux différents médias.
À travers un ensemble de présentations historiques et contemporaines, cette demi-journée d’études s’attachera à identifier le rôle qu’a joué l’émergence du web dans la transformation des objets de luttes et l’organisation du mouvement féministe.
Programme
"Parcours médiatique de combattantes féministes" par Claire Blandin (LabSIC, Université Sorbonne Paris Nord)
Les médias ont joué un rôle déterminant pour la publicisation des luttes féministes dans leurs vagues successives. Le projet de cette communication est d’expliquer dans quelle mesure ces luttes ont été reprises dans les médias de masse de chaque époque, et comment les militantes créent des médias alternatifs pour expliciter leurs revendications et créer du lien entre elles. On verra que dans les moments de grande visibilité du féminisme, les médias grand public reprennent en partie le vocabulaire de la lutte, qu’ils ignorent la plupart du temps.
Historienne des médias, Claire Blandin travaille sur la circulation des représentations dans les discours médiatiques. Ses travaux récents sont centrés sur la presse magazine, qui permet d’approcher la circulation des normes sociales dans l’ensemble de la culture de masse. La question de la représentation des rapports sociaux de sexe est aujourd’hui au centre de ses interrogations.
"Communauté politique, sémiotique, émotionnelle - Ce que la circulation des images révèle de la structuration de la mobilisation anti genre sur Twitter" par Virginie Julliard (Sorbonne Université/CELSA, GRIPIC)
Dans cette communication, nous nous poserons la question de savoir ce que la circulation des images révèle de la formation d'une « coalition anti-genre » sur Twitter. Le phénomène de « circulation » est ici appréhendé dans le contexte du débat sur la « théorie du genre », à l’échelle d’un corpus de 107 209 tweets collectés entre le 5 octobre 2014 et le 17 juillet 2017. Nous nous sommes concentrées plus spécifiquement sur l’analyse sémiotique des tweets comportant une ou plusieurs images. Cette analyse met au jour différentes modalités de reprise d’images, attestant le poids de certaines associations (ici, plus particulièrement, Vigi-gender, l’Observatoire de la théorie du genre et la Manif pour tous) dans l’élaboration du régime visuel propre à la mobilisation anti-genre dans le contexte des débats autour de la « théorie du genre ». Nous suggérons que ce régime visuel peut être interprété comme esquissant une « contre-visualité », une manière de voir et percevoir les actions du gouvernement inspirées par les études de genre.
Virginie Julliard est professeure en sciences de l’information et de la communication à Sorbonne Université/CELSA, chercheuse au laboratoire GRIPIC. Ses travaux portent sur la production médiatique du genre, la structuration des débats publics et les dispositifs d’écriture numérique. Elle conduit actuellement une étude sur la circulation des images dans les réseaux sociaux numérique et son incidence sur la formation de coalitions anti-genre. Elle est directrice du Centre d’expérimentation en méthodes numériques pour les recherches en SHS (CERES) de la Faculté des Lettres de Sorbonne Université. En 2012, elle publie l’ouvrage De la presse à internet : la parité en question chez Hermès-Lavoisier.
"Des hashtags qui font bouger les lignes (éditoriales) ? Les réseaux sociaux comme espaces de contestation du traitement de la cause des femmes dans les médias hégémoniques." par Hélène Bréda (LabSIC, Université Sorbonne Paris Nord)
Cette intervention portera sur des usages féministes de réseaux sociaux (Twitter, Instagram, Tumblr) qui ont vocation à dénoncer les traitements de la cause des femmes dans les médias d’information traditionnels. En s’adossant à la notion de « contre-publics subalternes » (Nancy Fraser), cette présentation s’appuie sur un corpus de publications en ligne qui prennent en charge des enjeux de représentation liés notamment au vocabulaire des journalistes, aux angles choisis pour aborder des situations de violences misogynes, à la valorisation de personnalités dites « problématiques » ou encore à la rareté des femmes-expertes interviewées. Il s’agira ainsi d’envisager les nouveaux médias sociaux numériques comme des espaces démocratiques où s’exerce un contre-pouvoir, qui peut avoir des effets concrets sur les pratiques journalistiques et les lignes éditoriales au sein de rédactions longtemps structurées par une domination masculine hégémonique.
Hélène Breda est maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'Université Sorbonne Paris Nord. Ses recherches portent sur la représentation des identités culturelles à l'écran, dans la fiction et les médias, sur la critique audiovisuelle à l'ère du numérique et sur les mobilisations militantes en ligne (féministes, queer, LGBT+).
"#NousToutes, d’une organisation communicationnelle à une mobilisation féministe" par Irène Despontin Lefèvre (CARISM et l’Université Paris Panthéon Assas)
Cette présentation porte sur les stratégies de communication du collectif féministe #NousToutes. Il s’agit d’interroger la manière dont les outils communicationnels en/hors ligne déployés par #NousToutes participent à organiser le collectif, ainsi qu’à co-construire un discours féministe hégémonique sur la question des violences sexistes et sexuelles.
Irène Despontin Lefèvre est doctorante en Sciences de l’information et de la communication au Carism et ATER à l’Université Paris Panthéon Assas. Sous la direction de Tristan Mattelart (Carism) et Maxime Cervulle (Cemti), ses travaux portent sur les stratégies de communication en/hors ligne des mobilisations féministes au début du XXIème siècle en France.
"L’intersectionnalité sur le web en France : opposition à bas-bruit, usage multiplateforme et autonomie" par Jaérciao da Silva (CARISM et IFP/Université Paris-Panthéon-Assas)
Cette présentation porte sur la manière dont 34 acteurs font exister une « cause intersectionnelle » sur les supports numériques. Pour cela, l’intersectionnalité est prise à la fois comme innovation technique, terrain et objet d’étude. Ce travail de thèse révèle une dimension plus « performative » de la traduction de l’intersectionnalité sur le web avec la création de ce qu’on appelle de MultiMicroMédias : des objets médiatiques, numériques, qui permettent aux acteurs - souvent non spécialistes - de donner forme à leur appréhension personnelle du concept. Ces MMM ont pour caractéristique une mobilisation à bas-bruit, un usage multiplateforme et une autonomie (par principe) vis-à-vis des opérateurs médiatiques.
Jaércio Bento Da Silva s’intéresse à la manière dont le concept d’intersectionnalité circule et se traduit dans les espaces numériques en France.
"Réappropriation du politique par des complicités fluides et ambivalentes dans les féminismes 2.0." par Réjane Sénac (Science Po, CEVIPOF)
Comment les usages des réseaux sociaux participent-ils d’une désintermédiation du militantisme et de l’activisme à travers une réappropriation du « qui », du « quoi » et du « comment » du politique ? Nous aborderons cette interrogation à travers une recherche sur les mobilisations contemporaines contre les injustices à partir d’une enquête auprès de 130 responsables d’association et activistes féministes, antiracistes, antispécistes, pour la justice sociale et écologique. Si le militantisme virtuel peut être perçu, notamment par les militant·e·s des années 1970, comme un engagement à la fois de moindre intensité idéologique et organisationnelle, il permet de publiciser des revendications (cf. notamment MeToo, publicisation de performances, de désobéissance civile), de les mettre en commun en contournant les filtres que constituent les groupes intermédiaires tels que les médias, les syndicats et les associations, utilisés comme des relais et non plus comme des institutions de délibération. Nous analyserons l’ambivalence de la désintermédiation par la virtualité des militantismes qui à la fois remet en cause certaines oppressions et violences par des complicités fluides et participe de violences, en particulier à travers le cyber-harcèlement.
Réjane Sénac est directrice de recherche CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), elle est membre du comité de pilotage du programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre - PRESAGE. Elle est membre du Conseil scientifique de la Cité du genre - USPC - et elle a été présidente de la commission parité du Haut Conseil à l’Egalité femmes-hommes, instance consultative auprès du Premier Ministre, de janvier 2013 à janvier 2019.
Remarques conclusives de Josiane Jouët
Informations pratiques
Le séminaire se tiendra sur le campus de Sciences Po, 1 place Saint Thomas d'Aquin, 75007 Paris. Une salle de réunion virtuelle sera également disponible.
Le séminaire est ouvert, inscription obligatoire.