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Approches interdisciplinaires d’une maladie aux multiples présentations : le cas du mpox

Les maladies infectieuses émergentes sont devenues une préoccupation importante de notre époque, et bien qu’étudiées depuis longtemps, beaucoup d’entre elles soulèvent encore de nombreuses questions, parmi elles : le mpox.

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Identifié pour la première fois en 1970, le mpox, aussi connu sous le nom de variole du singe, est une maladie qui reste mal comprise par les scientifiques.

Le projet ANR pluridisciplinaire “AFRIPOX : une approche One Health du mpox en République Centrafricaine (RCA)”, mené entre 2019 et 2023, a permis, par des approches multidisciplinaires, de mieux comprendre cette maladie émergente dans sa complexité.

Camille Besombes, médecin épidémiologiste, coordinatrice (avec les Pr Arnaud Fontanet, Institut Pasteur Paris, et Emmanuel Nakouné, Institut Pasteur de Bangui) sur le projet “AFRIPOX : une approche One Health du mpox en République Centrafricaine (RCA)” et intégrée au médialab dans le cadre de ses recherches sur les maladies infectieuses émergentes (bourse de recherche du Fonds Bruno Latour), en présente les grands enseignements.

Ton parcours est atypique, peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je suis médecin spécialiste en maladies infectieuses et tropicales : j’ai d'abord pratiqué la médecine hospitalière en France puis la médecine humanitaire avec Médecins Sans Frontières notamment en Haïti. En faisant le constat que la médecine traitait les conséquences, j’ai eu besoin de me diriger vers des disciplines visant à agir sur les causes et les racines des maladies. Je me suis donc rapprochée de la recherche en menant une thèse d’épidémiologie (à l’Institut Pasteur de Paris) portant sur l’épidémiologie et l’histoire naturelle de la variole du singe (Mpox) en République Centrafricaine à travers des approches pluridisciplinaires de type One Health. Ces approches visent à promouvoir des approches intégrée, systémique et unifiée de la santé publique, animale et environnementale, aux échelles locales, nationales et planétaire.

Crédits : Institut Pasteur / Bangui
Crédits : Institut Pasteur / Bangui

Aujourd'hui, mes recherches en cours visent à explorer les racines écologiques et sociales des émergences infectieuses, dans différents contextes, pour saisir les maladies infectieuses émergentes dans leur globalité et leur complexité à travers des approches One Health et Eco Health.

Le Mpox c’est quoi ?

Le mpox est une zoonose, une maladie transmise des animaux aux humains, qui se présente sous la forme de lésions cutanées et qui est responsable d’une létalité de 3 à 10 %. Ce virus est composé de deux clades (sous types viraux) à la répartition géographique différenciée : le clade I circule en Afrique Centrale et le clade II en Afrique de l’ouest. 

Cette zoonose se transmet à la fois par voie zoonotique c’est à dire à travers un contact direct ou indirect avec un animal réservoir, et également par transmission interhumaine : par contact direct avec les lésions cutanées et les contacts indirects avec l’environnement contaminé (linges, surfaces, etc). Plus récemment, des présentations atypiques de la maladie sont apparues avec une transmission majoritairement interhumaine lors de contacts sexuels : d’une part en mai 2022, où une épidémie de mpox s’est répandue dans le monde entier, et d’autre part en décembre 2023 en RDC responsable d’une forte majoration du nombre de cas. 

Malgré l’identification du premier cas humain en 1970 en République Démocratique du Congo (RDC), il persiste de nombreuses zones d’ombre pour cette maladie : le réservoir animal est pour l’instant incomplètement déterminé -même si les rongeurs arboricoles sont les principaux suspects-, et les modes de transmission exacts restent encore à préciser.

Les travaux récents ont-ils permis de mieux comprendre ces zones d‘ombre?

Afin de comprendre cette zoonose, j’ai participé à un projet pluridisciplinaire intitulé “AFRIPOX : une approche One Health du mpox en République Centrafricaine (RCA)”, regroupant des chercheurs de l’Institut Pasteur, de l’IRD (Institut de Recherche et de Développement) et du Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN). Plusieurs travaux auxquels j’ai contribué mettent en évidence la richesse des approches multidisciplinaires, qui sont les seules à même de comprendre une maladie émergente dans sa complexité. Elles peuvent permettre notamment l’identification des zones géographiques à risques, les facteurs de circulation de la maladie ou encore apporter des pistes pour l’identification du réservoir animal. 

Par exemple, en décrivant l’histoire naturelle et l’évolution - entre 2000 et 2021 - du mpox en République Centrafricaine, un pays endémique pour cette maladie (c’est à dire où apparaissent constamment des cas de cette maladie), nous avons pu identifier les zones forestières du sud du pays comme les zones à risques pour la maladie, et décrire les caractéristiques cliniques et épidémiologiques des cas humains. 

Grâce à l’étude des génomes viraux de mpox issus de cas humains survenus en RCA (à travers la phylogénie et phylogéographie), on a mis en évidence la proximité génétique des virus de mpox circulants en RCA et en RDC, soulignant la circulation transfrontalières des virus. Nous avons identifié les périodes de divergence virale du mpox correspondent aux périodes de troubles civils et militaires en RCA, potentiellement responsables de déplacements en forêt des populations humaines.

Concernant la recherche du réservoir animal, la comparaison des niches écologiques du virus mpox et des réservoirs animaux suspects, a permis de conforter l’hypothèse selon laquelle le réservoir animal serait le rongeur arboricole du genre Funisciurus anerythrus. 

En complément, une approche originale d’écologie de la santé a été déployée pour étudier la maladie à partir de ses distributions géographique et temporelle, entre 1970 et 2021. Les résultats indiquent que la distribution mensuelle des cas index de mpox varie en fonction de la latitude et du climat, mettant en évidence une saisonnalité de la maladie dans les zones tropicales. L’article soulève des hypothèses sur les risques d'exposition au virus  en lien avec différentes pratiques agricoles et forestières, et peut se traduire par des impacts réels en orientant les futures recherches du réservoir animal - très difficile à identifier jusque là - sur les périodes et zones à prédominance saisonnière.

Seasonal distribution of mpox index cases according to the climate profile in Africa, 1970– 2021. A) Climate/seasonal profile by site. B) Average monthly rainfall, temperature, and fire index (dotted line) for each climate/seasonal profile. C) Distribution of outbreak index cases by month for each climate/seasonal profile.
Seasonal distribution of mpox index cases according to the climate profile in Africa, 1970– 2021. A) Climate/seasonal profile by site. B) Average monthly rainfall, temperature, and fire index (dotted line) for each climate/seasonal profile. C) Distribution of outbreak index cases by month for each climate/seasonal profile.

Enfin, les approches anthropologiques et ethnohistoriques déployées dans les deux zones forestières du sud de la RCA ont permis de mettre en avant les compréhensions plurielles des populations locales sur le mpox, et les liens faits par les populations locales avec les déclins économique, politique et moral des régions concernées dans des contextes post coloniaux. 

Quelles sont les perspectives de tes futurs travaux? Et en quoi s'intègrent-ils aux approches de l’axe “Environnement santé et sciences à l’heure de l'Anthropocène” du médialab? 

Mes recherches au médialab s’inscrivent dans les suites de mes précédents travaux : alors que les zoonoses, dont le mpox, sont principalement étudiées sous les angles uniquement épidémiologique et médical, l’approche originale développée ici ouvre le champ de la recherche aux aspects écologiques de la maladie. Plus largement mes recherches s’inscrivent dans une démarche visant à redonner leur place aux enjeux géographiques et topologiques de la santé : soulignant la nécessité de tenter de comprendre une maladie à partir de ses distributions géographiques et temporelles, à travers l’étude des variations spatiales des maladies en lien avec les caractéristiques des paysages et des facteurs environnementaux influençant les dynamiques des hôtes, vecteurs et agents infectieux. 

Mon projet établit un dialogue entre épidémiologie, histoire environnementale et anthropologie de la santé et des paysages, pour repenser les maladies infectieuses émergentes depuis les milieux, les paysages. A travers l’étude de deux émergences infectieuses des écosystèmes forestiers équatoriens, le mpox en Afrique et l’hépatite delta en Amazonie et en Afrique, mon projet combine des approches épidémiologiques et ethnographiques pour reconstituer les « microgéohistoires » de ces émergences, en décrivant leur encastrement dans les histoires environnementales et sociales des écosystèmes forestiers et plantationnaires équatoriaux en contextes coloniaux et postcoloniaux.

Il s’inscrit ainsi dans une conversation collective plus générale pour reterritorialiser les questions de santé environnementale et construire un paradigme de recherche et d’intervention redonnant à la santé ses enjeux topologiques et ravivant une responsabilité environnementale globale.

Ces nouveaux regards fournis par les sciences humaines et sociales (SHS), l’anthropologie, l’ethnohistoire et l’histoire environnementale, permettront d’éclairer les zones d’ombre persistantes sur ces maladies émergentes et de les interpréter à l’aune des bouleversements écologiques et sociaux impliqués, et correspondent aux approches de l’axe « environnement, santé et sciences à l’heure de l’anthropocène » du médialab à Sciences Po.

Références 

Camille Besombes, Festus Mbrenga, Ella Gonofio. Seasonal Patterns of Mpox Index Cases, Africa, 1970–2021, Emerging Infectious Diseases, may 2024.

Camille Besombes, Festus Mbrenga, Laura Schaeffer. National Monkeypox Surveillance, Central African Republic, 2001-2021, Emerging Infectious Diseases, Décembre 2022.

Berthet N, Descorps-Declère S, Besombes C, et al. Genomic history of human monkey pox infections in the Central African Republic between 2001 and 2018. Sci Rep. 2021;11(1):13085. Published 2021 Jun 22.

Curaudeau M, Besombes C, Nakouné E et al. Identifying the most probable mammal reservoir host for the monkeypox virus based on ecological niche comparison. Viruses 2023, 15(3), 727

Duda R, Betoulet JM, Besombes C, Mbrenga F, Borzykh Y, et al. (2024) A time of decline: An eco-anthropological and ethnohistorical investigation of mpox in the Central African Republic. PLOS Global Public Health 4(3): e0002937.

Fontanet, Arnaud, et Camille Besombes. « Variole Du Singe : « Cette Circulation de La Maladie Est Complètement Nouvelle » ». The Conversation, 22 mai 2022, http://theconversation.com/variole-du-singe-cette-circulation-de-la-maladie-est-completement-nouvelle-183517.

Besombes, Camille. « Variole Du Singe - Mpox : Une Évolution Préoccupante de La Maladie En Afrique ». The Conversation, 21 décembre 2023, http://theconversation.com/variole-du-singe-mpox-une-evolution-preoccupante-de-la-maladie-en-afrique-218750.